Le monde est en ébullition. La Tunisie, l’Égypte, la Libye, le Bahreïn… Tant de pays où la guerre civile a fait rage, et ce n’est pas terminé ( #libye )… La France a l’air de passer à côté de l’histoire, n’attachant pas toute l’importance qu’elle devrait à ce drame, ces morts, à ces gens qui aspirent à la liberté, tout simplement. Le pouvoir aurait-il tout simplement peur? Peur de raconter, peur que cela donne des idées, peur que le peuple prenne exemple ? Je ne puis que rester humble devant tout cela… Je ne saisis sans doute pas la portée de tout ce qu’il peut se passer en ce moment, mais je peux tout de même me poser quelques questions…
Les réseaux sociaux ont beaucoup été pointés du doigt pour expliquer la rapide propagation de ces révolutions. Selon moi, il y a eu deux types d’impacts :
- Sur la communication interne. Communiquer pour s’organiser, communiquer pour se lier, créer une communauté forte, active et réactive. Facebook, Twitter outils naturels de gens comme vous, comme moi, changés du jour au lendemain en révolutionnaires.
- Sur la communication internationale. Informer pour être compris. Informer pour que les gens sachent que des peuples aspirent profondément à une certaine liberté, et rejettent de toute leur force une injustice omniprésente. Il est clair que si nous nous étions contentés du journalisme traditionnel, jamais nous aurions pu attacher une réelle importance à tous ces évènements.
La question que se sont posées les gouvernements, c’est : sans internet, sans ces réseaux sociaux, ces révolutions sont-elles possibles ?
L’histoire y répond en partie. En effet, pour ces « gouvernements » la révolution a été vécue comme une vulgaire maladie dont il fallait à tout prix éviter la propagation. Et cette maladie avait apparemment une fâcheuse tendance à se propager à travers Internet, les informations accessibles étant plus difficilement contrôlables qu’à travers les médias classiques. Et c’est ainsi qu’après la Tunisie, le second pays à s’être enflammé est l’Égypte. Sentant le peuple gronder, le gouvernement a réussi quelque chose que ma naïveté n’aurait pas pensé possible : ils ont coupé le pays du reste du monde. Le 27 Janvier à 17h, les tuyaux entre l’Égypte et le reste du monde ont été coupés. L’entreprise Arbor Network a pu donner la mesure des échanges réseaux avec l’Egypte ce jour J :
Mais comment ont-ils fait ? Le gouvernement égyptien a tout simplement demandé à ses fournisseurs d’accès à internet (FAI) de couper la connexion avec l’international et la téléphonie mobile. Ils l’ont fait, sans que l’on sache si le gouvernement n’ait pas aussi agi de lui même en coupant les accès principaux (backbone). Seuls les accès privés des grandes entreprises et de la bourse du Caire ont été maintenus.
Mais malgré tous leurs efforts, cela n’a pas suffi. Tant que la liaison physique et la téléphonie analogique subsistent, il est toujours possible de ressortir les vieux modems 56K et de se connecter au réseau mondial :-). C’est ainsi que FDN, un fournisseur d’accès français associatif, a mis la main à la patte en fournissant des serveurs RTC aux égyptiens le souhaitant.
Contourner la coupure de la téléphonie mobile était aussi possible en utilisant par exemple la carte SIM d’un opérateur étranger. Les journalistes sur place pouvaient donc utiliser leurs téléphones portables, et raconter.
Alors, finalement, couper un pays du reste du monde, c’est possible ?
A priori cela reste du domaine de la théorie. Pour cela il aurait fallu se résoudre à couper physiquement la liaison avec le reste du monde, et le gouvernement n’a pas voulu s’y résoudre. Le fait que la bourse soit restée connectée est en soit rassurant : les réseaux sont tellement ancrés dans l’économie d’aujourd’hui qu’un total black out serait un suicide économique, et c’est en soit une petite protection contre ce genre d’évènement.
Il faut tout de même noter que pour la peine, les infrastructures physiques sont les pierres angulaires du réseau, et on a tendance à l’oublier. Par exemple, Wikileaks a rappelé dernièrement dans un billet qu’une liste de points sensibles était identifiée.
Je citerai France-Info :
« …les points d’arrivée de câbles de télécommunication transatlantiques, à Plérin et Lannion (Côtes d’Armor). Ces câbles, “Apollo” (6000 km entre Lannion et le New Jersey) et “Flag Atlantic 1” long de 14000 km ont été mis en service en 2003 et 2001. Les câbles TAT-14 à Saint-Valéry-en-Caux (Seine-Maritime) figurent aussi dans la liste. Deux sites outre-mer, sites d’arrivée du câble sous-marin Americas-II sont évoqués : l’un à Cayenne en Guyane et l’autre au Lamentin, en Martinique.«
Mais même si la censure totale n’est pas forcément possible, la tentation est immense pour tous les gouvernements d’avoir un certain contrôle sur les actions et les lectures de leurs internautes. L’exemple de la chine est le plus connu, mais les derniers évènements prouvent bien qu’ils ne sont pas les seuls. Reporters Sans Frontière publie régulièrement une liste de pays déclarés « ennemis de l’internet« . Il est intéressant de se rendre compte que les pays révolutionnaires font partie des pays listés (même si on pouvait s’y attendre…). Mais il est aussi intéressant de voir que la France était listée en 2008 comme pays à surveiller (merci la Loppsi…), au milieu de tout un tas de dictatures qui font peur… Charmant, vraiment charmant…
Même si couper un pays du reste du monde est aujourd’hui difficilement envisageable sans une coopération internationale pour agir directement sur les infrastructures physiques (sauf peut-être en corée du nord), le risque aujourd’hui est bel et bien la censure de tous les jours, une censure moindre, qui se doit de passer inaperçue, et ça serait bien là sa force. Et ne soyons pas dupe, l’idée est en train de germer au sein même des démocraties du monde ! A nous d’empêcher d’avoir, un jour, droit à des jolis écrans comme ça :
LB.